Contact Facebook Flickr

Astrantias, un jardin à Londres

photos

Astrantia major ‘Shaggy’, Helenium autumnale ‘Pumilum magnificum’
 

Astrantia major ‘Rubra’, Echinacea purpurea ‘Tangerine Dream’

Astrantias

« Elles et lui connaissent ces lieux, dans le jardin, sous les ombres parfumées.

Nous connaissons ces lieux, nous nous y retrouvons aux alentours de la mi-juin,
les ombelles et moi attendons la lumière du soleil. Ce matin, la lumière du soleil nous attend.

Elle va se glisser parmi les graciles astrances, entre leurs fleurs en ombelles, coussins arrondis de petites perles blanches, élégants parapluies teintés de roses et de vert pâle où les syrphes aiment s’y poser. Si j’étais une fauvette des jardins qui cherche une assise pour le nid tapissé des graines cotonneuses des peupliers voisins, ou un petit aventurier qui vient de découvrir une loupe de botaniste dans le large tiroir au bouton de verre poli, j’aimerais me glisser dans ce paysage, dans ce jardin de petits troncs colorés de framboise gaie, de vert de gris, de blanc crayeux après la pluie, dans ce sous-bois des tiges des ombelles de cette fleur, là. Oui, celle-ci, Astrantia, petite étoile.

Je songe au boisé de merisiers, bouleaux et noisetiers, où pousse la cousine de l’astrance, la sanicle d’Europe aux ombelles rosâtres, serrées et irrégulières. Ce boisé de mon enfance abrite la campanule gantelée, la grande luzule, la fougère scolopendre, la mercuriale des bois. Il se dessine aussi des silhouettes courbes des dryopteris et des canches cespiteuses.
La sanicle des sous-bois, la buplèvre des lieux secs, le panicaut du bord de mer, l’hydrocotyle le long des ruisseaux, originales Apiacées, souvenirs de mon adolescence.

Et c’est à l’intention de créer un jardin avec des astrances que je pense ce matin, à ces moments si plaisants et parfois impalpables, des vécus et des visuels à entrer dans une histoire puis un projet, aux premiers tracés de crayons graphites, à la joie intérieure de satisfaire ; à ce charmant couple de Londres. Ils me confièrent de redessiner et de concevoir le petit jardin de leur maison, dans une rue discrète de Greenwich. Je relis mon carnet.

Que le jardin et le séjour s’invitent et s’unissent à ne faire qu’une grande pièce, voilà ce que souhaitent d’abord Florence et Henry, vivre le jardin sans avoir à y être.
Il est composé d’une grande pelouse, de quelques vivaces colorées, d’un bouleau pleureur – Betula pendula ‘Youngii’ – bien installé, d’un jeune noisetier, d’herbes spontanées précieuses, du lierre.
Son plan n’est plus en synergie avec la maison et ses matériaux, avec le style de vie du couple. Avec le nouveau séjour et un bureau atelier ajoutés , conçus de larges baies vitrées, le jardin a maintenant une forme en T inscrite dans un rectangle de 25 m par 15,50 m. Il offre un sol riche et plutôt frais à tendance argileuse, de belles mi-ombres.
Depuis ce séjour ou de l’atelier, il est possible d’embrasser tout le paysage.

« Quels sont vos moments préférés de vie, je leur demande, les anniversaires, des envies particulières, des instants à faire vibrer ? » Florence répond avec un large sourire :
« – Ton anniversaire est le 20 mai, dès les premières roses.
– Le tien avec les Astrances, le 15 juin ! » s’exclame Henry.
Les plantes et les dates, les sourires et la simplicité de nos échanges sont notre bonne base. Et des astrances ! Se détendre après la journée de travail. Puis la fin du printemps, les soirées colorées d’été, les douceurs automnales où la nature se pose, le délicieux mois de novembre, les parfums méconnus de l’hiver, et la joie des fleurs du printemps. Et reviennent mai et juin.

Je les écoute. D’autres mots, et je regarde ces briques patinées rougeâtres aux nuances de craie rosée de la maison, celles gris fusain clair des extensions, et la terrasse en L autour du séjour, pavée des mêmes dalles de pavés gris clair des pièces intérieures. Matériaux intemporels, presque surannés, et leur élégantes touche de modernité. La lumière joue les reliefs, les lisses et les rugueux.
Que diraient l’eau et les couleurs à leurs phrases ?

À la question des couleurs et des mots qui inspirent et égayent les saisons, Florence propose avec délice : « J’aime le rose, ses teintes douces et pastels, ses nuances tendres pour la mi-ombre. Il est beau et amusant avec des blancs, exalté avec des bleus et des feuillages vert pâle. »
« Sophistiqué, classique, tendre, joyeux.» prononce t-elle.
Notre discussion nous amène vers les forêts du Surrey de son adolescence, Winkworth et Thursley, Puis elle nous conduit vers les alpages où elle découvrit, émerveillée, les astrances.

Voilà ce que souhaite Florence dans leur jardin, des astrances célestes, des ambiances de légèreté du vent et de la lisère fraîche, d’eau ; éprise d’équilibre, d’harmonie. Elle aime le sens pratique.
Vert est la couleur inspirante d’ Henry. Il a grandit à Londres. « Si familier dans la nature, dans les bois de Florence. » Les verts jouent avec toutes leurs tonalités, « et font vibrer nos sensibilités »  ajoute t-il. J’aime relire sa phrase et ses mots : « Calme, harmonieux, printemps, naturel». Voilà les premières quêtes d’Henry qui exprime de profondes curiosités et aspirations, le besoin de calme et de réflexion. Il aime les violettes, et nous demande comment bien accueillir les amis de Florence dans ce jardin.
Nous échangeons autour d’un délicieux thé. Ils aiment tous les deux prendre le temps de le préparer dans le séjour. Et les cerises de la campagne.

Et les mots se donnent les uns aux autres, sont un cheminement, croisent des regards, effleurent le bord de l’eau, ondulent avec le vent. Ils aiment imaginer les lumières, composer des couleurs.
Ainsi, le couple dit qu’il aimerait garder le bouleau existant, le jeune noisetier, et le vieux lierre qui cache le seul mur disgracieux du jardin ; Florence souhaite installer un nichoir à rougegorge, un gîte pour les hérissons.
Cela correspond à l’un de mes souhaits, composer avec l’existant au mieux possible. Oui, c’est bien cela qui anime le jardin, faire confiance à la nature, composer avec elle, accueillir les plantes arrivées au fil de sa vie. Est-ce d’une graine que le lierre a commencé son aventure ici ? Entretenu, le voilà un excellent compagnon pour des camaïeux de vert, pour sa floraison et ses fruits.

Il y a deux ans, le couple a trouvé ce lieu qui sait faire vibrer leurs émotions. Florence complète ma question de la finesse dans la création du jardin, Henry d’une posture avenante et rassurée, conclut celle de la subtilité.
Oui, c’est bien cela qui m’importe, leurs demandes de couleurs et d’ambiances, les mots de leurs passés et du présent, une légèreté entre mi-ombre et lumière, et les subtilités de la nature.

Subtiles étoiles, celles des bractées des fleurs de ces trois variétés de la grande astrance mises dans le jardin par le couple. Nous admirons. Astrantia major‘Rubra’ et ‘Shaggy’ trouvées à Kew Garden par Florence. Henry lui a offert ‘Florence’ !
‘Florence’, une nouvelle variété de 60 cm de hauteur en floraison, propose des ombelles de toutes petites fleurs rose plutôt frais, disposées sur des collerettes de bractées nacrées, rose lavande. Ses fleurs sont comme de bijoux à reflets opalins, pour le jardin. Il en sera coloré.

Les Astrances, vivaces faciles de culture, sont de petites merveilles du soleil léger à la mi-ombre, elles fleurissent avec générosité de la fin du printemps à l’été. Remontantes, elles refleurissent en septembre. J’aime les associer, dans un massif ou au bord d’un petit sentier, à composer des ambiances sophistiquées et sauvages. Quant à ces trois variétés, elles déclinent un subtil et délicieux camaïeu. Je les esquisse en harmonie de couleurs voisines sur le cercle chromatique, avec Rosa x moschata ‘Félicia’, Hydrangea macrophylla ‘Frilibet’, Dryopteris filis mas, Millium effusum ‘Aureum’, Tiarella cordifolia, Geranium phaeum ‘Alba’, sur le fond du Lierre et des graminées fines et délicates existantes.
Séjour, jardin, atelier ; comme dans la composition d’une toile préraphaélite nous parcourons le paysage. J’imagine les plans et les scènes, à traiter avec la même précision, où chaque détail possède son importance, et le petit jardin, comme un récit ou une toile, peut se lire sous des regards naturaliste, horticole et symbolique. Je prends des photos pour les plans depuis le hall d’entrée, depuis les fauteuils intérieurs ou la table des repas, assis et debout sur la terrasse, près du lierre, accroupi en imaginant un premier sentier dans un sous bois clair, à toucher du bout des doigts le tronc du bouleau, en imaginant le noisetier grandi, en entrant dans l’atelier cosy et studieux.

De retour à l’atelier à Cranbrook, je me penche sur les mots de Florence et Henry, sur l’idée centrale, l’interconnexion entre la palette de couleurs et de végétaux, les matériaux utilisés et le style du jardin. Donner une sensation de continuité dans les rythmes et l’harmonie.

Deux sentiers proposent trois jardins bien proportionnés et intimistes, cheminent entre sous-bois, lisière, prairie, pelouses. L’effet souhaité toute l’année est celui d’une végétation généreuse.
Roses et verts jouent les camaïeux, harmonies et contrastes.
Le premier sentier, en arrondi doux, de plots de briques modernes carrelés des mêmes dalles que le séjour et la terrasse, mène au lieu de créativité et de travail, l’atelier. Il est un sas pour puiser ou confier des énergies, un cheminement de pauses.
Le second sentier, en tracé plus sinueux, de graviers mignonnette, de trèfles et gazon, passe entre les troncs et les vivaces. Il est tel un cheminement en soi, un espace d’intériorité, une rencontre avec l’altérité aussi, à lui confier des exaltations comme des questionnements.
Les lignes et les formes du jardin, les textures et les structures, en simplicité, amènent clarté et calme ; et cette touche d’un joyeux fouillis organisé du sous-bois. Le hérisson peut passer, les astrances se balancer, le merle se régaler.

Des bancs de bois, celui des planches de rives, au graphisme épuré, permettre d’attendre le rougegorge aux premières lueurs du jour, de savourer un thé avec les scones encore tièdes, d’écouter la grive sous les feuillages du noisetier. Et sur la terrasse, les soirées et les nuits étoilées.

Oui, chaque élément a une portée semblable, un équilibre, un confort. Le détour d’une graminée, les plantes voisines des fougères, un feuillage pour égayer, une fleur pour inviter le regard, la disposition des plots, la taille du noisetier et du lierre, les floraisons parfumées au fil des saisons. Les points focaux attirent et retiennent le regard, inviter à se déplacer ou si poser selon les désirs. Et vingt une variétés d’astrances qu’ils me demandèrent.
Les variétés retenues furent ‘Alba’, ‘Buckland’, ‘Claret’, ‘Florence’, ‘Hadspen Blood’, ‘Madeleine Van Bennekom’, ‘Pink Pride’, ‘Pink Sensation’, ‘Primadonna’, ‘Princesse Sturdza’, ‘Rosea’, ‘Rosensinfonie’, ‘Rubra’, ‘Ruby Cloud’, ‘Ruby Star’, ‘Ruby Wedding’, ‘Shaggy’, ‘Star of Beauty’, ‘Super Star’ et ‘White Giant’.
Toutes les plantes spontanées sont conservées et servent de bases. Fougères, hydrangeas, heucheras et graminées les accompagnent. Parmi les rosiers sont choisis les botaniques des collines du Surrey Rosa arvensis, Rosa pimpinellifolia ; puis en suivant l’histoire ‘Belle Isis’, ‘Celsiana’, Rosa x centifolia, ‘Stanwell perpetual’, ‘Madame Alfred Carrière’, ‘Souvenir de la Malmaison’, ‘Reine des Violettes’, ‘Cornélia’, ‘ Félicia’, ‘Ballerina’ ; ‘Scepter’d Isle’ ‘Gertrude Jekyll’ et ‘Sweet Juliet’. Le rose.
Viennent les violettes souhaitées par Henry, des odorata, sororia et cornuta. Chaque mois propose sa plante parfumée, même l’hiver ; une fleur, un feuillage, des vivaces et bulbes, des arbustes comme Daphne odora ‘Aureomarginata’, Viburnum carlesii ‘Aurora’, Seringat ‘Manteau d’Hermine’.

Le couple m’a confié, trois années après, les moments vécus en ces lieux depuis, leurs plaisirs, ces espaces d’intériorité tout comme de simplicité, ces joies à jardiner en ville, ces regards à se sentir vivant ; le tout avec couleurs, oui, la couleur, et l’eau, le vent.
Et je songe à ce qui invite à pousser la porte d’un jardin. Pourquoi jardine t-on ?
Et si le jardin nous appelait d’abord à la dimension secrète de la nature, discrète, intimiste ? Un moment à se tenir au monde, à soi ?

La fauvette a bien coincé son nid dans les entrelacs sculptés des branches du bouleau, le petit garçon s’est émerveillé de détails d’ombelles et de fractales de feuillages sous sa loupe. Il a du croiser en chemin des tiges sèches et des radicelles, des lichens et des mousses ; l’oiseau discret, la Sylvia de la forêt, la musicienne raffinée, en a garni son nid. Et les saisons passent, le temps.

Trois années après, me voilà assis dans ce jardin, en juin, dans les parfums des chèvrefeuilles. Florence et Henry préparent le thé et le cheesecake maison aux framboises du jardin.
Ils sont très ravis du résultat. Les yeux et les sourires en disent tant. Depuis la maison et l’atelier, le jardin s’invite et unit. Nos mots profonds et son dessin subtil ont su ajouter de la vie, de la joie.

Les ombelles et moi attendons la lumière du soleil. La lumière du soleil nous attend. Elle va se glisser parmi les graciles astrances, petites étoiles. Discrètes. »
éric

Astrantia

Astrance

Masterwort